Boris Vian n° 6
HENRI SALVADOR et LES GARÇONS

Disques Jacques Canetti 103162
(P) 1986 Jacques CANETTI (de 5 à 13). Distribution MUSIDISC 1989


Recto
Face recto
Verso. Cliquez sur une piste pour écouter le morceau WMA
Face verso. Écoute des pistes ROCK HOCQUET (sic !) VA TE FAIRE UN ŒUF MAN (sic !) DIS-MOI QUE TU M'AIMES (sic !) ROCK N' ROLL MOPS (sic !) LES JOYEUX BOUCHERS ARTHUR (sic !) FRANKENSTEIN CANTATE DES BOITES DANS MON LIT LA MARCHE ARRIERE LE DESERTEUR TROMPETTE D'OCCASION VALSE JAUNE TERRE-LUNE


Extraits du livret

Henri Salvador Les Garçons (assis et debout) Les Garçons (marchant)

ROCK'N' ROLL
Drame de l'incompréhension (?) en deux actes

Ier Acte (de naissance) : En 1956, à New York, Michel Legrand a la fièvre. Il vient de choper un virus encore inconnu dans notre douce France : le “rock'n' roll” (déjà de nombreuses victimes dans les cours de danse américains). De retour à Paris, il espère bien contaminer Boris Vian. Déception : immunisé par le jazz, sa passion, celui-ci déclare le rock juste bon à exciter des teen-agers frustrés… bref, pour lui, mieux vaut en rire… Joignant le geste à la parole, notre Boris accouche alors de quelques chansons “rock” burlesques vite et chaudement habillées à la dernière mode musicale par Michel Legrand, le roi du “prêt à rythmer”. Né sous le signe (humiliant) de la parodie, le rock français voyait son premier cri enregistré par un certain… Henry Cording… Non, là vraiment c'était trop (sanglots étouffés) !!

IIe Acte (sexuel) : Avec Magali Noël, femme s'il en fut, et la complicité harmonique d'Alain Goraguer, Vian exploite ensuite une composante, selon lui, essentielle du rock : le sexe. Et en avant les fantasmes !!! Cette coloration érotique de la chanson parut, dans l'ambiance plutôt “bœuf mironton” de la IVe République, quelque peu osée (elle était surtout prématurée). De plus, l'épouse du chef de l'État allait bientôt ruiner tous les efforts de nos hardis pionniers par une révélation à la “T.S.F.” : “Primo, Magali Noël, c'est scandaleux. Secundo, Henry Cording, et j'ai l'ouïe fine, croyez-moi”… (sa taille, par contre…) … “c'est”… le nom foudroya les auditeurs de Berck Plage à Banyuls sur Mer
“c'est”…
… Henri SALVADOR…

Originaire de Cayenne (aucun rapport avec la double identité que nous venons d'évoquer) il arrive à Paris à l'âge de sept ans et étudie la musique. D'abord batteur (il a le jazz dans la peau), dès 1934 il compose à la guitare, improvise et chante dans un orchestre, avant de devenir, l'année suivante, membre du “Trio du Négus”.

La musique a beau adoucir les mœurs, il n'en fait pas moins la guerre, et, après cette expérience “humaine”, part pour la Côte d'Azur prodiguer ses dons vocaux chez Bernard Hilda. Par un coup de baguette magique, celle de Ray Ventura, il se retrouve ensuite “Collégien” puis en Amérique du Sud pour une tournée de la célèbre formation. Ils partirent cinq cents… peut-être pas autant… en tout cas, lui finit seul et vedette, notamment au Brésil. Il y restera jusqu'en 1945.

À nouveau dans l'Hexagone, il crée “Clopin Clopant”, fait ses débuts sur scène au “Théâtre des Trois Baudets”, grave sur 78 tours “C'est le be-bop” de Jack Dieval et Boris Vian dont Piaf était friande (du “be-bop”, il s'entend…), cultive avec succès son image de chanteur créole (“Ma doudou”, “Maladie d'amour”), passe à Bobino, à l'A.B.C., s'impose à l'étranger par ses multiples facettes et ses qualités d'homme de spectacle.

À partir de 1956, il forme avec l'auteur du “Déserteur” un tandem des plus créatifs : Henri pour la musique, Boris pour les paroles, les deux ensemble pour… le meilleur… De cette union hautement stimulante, jaillissent rocks “pastiche”, chansons pseudoexotiques, authentiquement tendres (ex : “T'es à peindre”), l'inénarrable “Blues (ou Blouse) du dentiste” et bien sûr le fameux Mambo des Gaulois : “Faut rigoler”. En 1961, Salvador fonde sa propre maison de disques et tombe dans le refrain comique destiné à être repris en chœur en colonie de vacances ou en famille, à la fin d'un repas. Pour mémoire, quelques-uns de ces “tubes” (terme préconisé par Boris Vian ; avant, on disait, non sans élégance, un saucisson…) : “Juanita Banana”, “Minnie, petite souris”, “Zorro est arrivé”, “Le travail, c'est la santé”, “Quand faut y aller, faut y aller”… La télévision devient pendant une dizaine d'années le théâtre privilégié de ses réjouissantes pitreries. Parfois, sur le petit écran, “Syracuse” et “Cherche la rose” redonnent au fantaisiste un visage plus subtil.

En 1985, au Palais des Congrès, il tire sa révérence mettant définitivement son talent de meneur de jeu au service de la pétanque tropézienne. Son père était percepteur mais lui, Henri, il avait apporté une importante contribution à la chanson française et donné de nombreuses occasions de rire à ses compatriotes… Justice était donc faite… comme dans… ZORRO !! (Enchaîner sur l'air bien connu).

LES GARÇONS (EX DE LA RUE)

Tels les “Trois Mousquetaires”, ils étaient quatre, en costume rayé noir et blanc. De drôles de zèbres !!

Formé en 1946 puis enrôlé dans la compagnie Jean Nohain, le groupe avait brillamment essuyé les plâtres des “Trois Baudets” et s'était illustré, notamment, à la “Fontaine des Quatre Saisons” alors alimentée en grands crus artistiques par son directeur, Pierre Prévert.

Leur ton humoristique, leur nombre, tout condamnait Les Garçons de la rue à être sans cesse comparés aux AUTRES… : Les Frères Jacques. Pourtant, guidés par l'individualisme, leurs gestes étaient plus libres, leurs expressions plus spontanées, loin en somme de la merveilleuse mécanique de leurs collègues à chapeau claque. En vérité, liés par l'amour de la scène, Les Garçons de la rue étaient aussi des frères. En bons (même très bons) Français, ils faisaient presque chaque année l' “américaine” des spectacles de l'Olympia (Duke Ellington, Gréco, Patachou, Trénet) et chaque fois, un tabac. Chose rare à une époque où le public, pour sa part, faisait fête à sa vedette mais encore plus volontiers leur fête à ceux qui la précédaient.

Dernier détail : les générales de l'Olympia se déroulaient à Versailles… au Cyrano… l'endroit rêvé pour vérifier si Coquatrix avait eu oui ou non du nez… Côté répertoire, Les Garçons de la rue furent les interprètes de Cami qui leur mitonna chansons et sketches dont “La pauvre orpheline” tirée de l'un de ses romans, ils créèrent “La goualante du pauvre Jean” et “Paris canaille”, deux titres promis à un bel avenir, ils déflorèrent surtout cette “Demoiselle sur une balançoire” née en tournée, un soir, et sur la table d'un restaurant de province. Par la fenêtre ouverte, montait le bruit d'une fête qui s'achève. Raymond, le fondateur du groupe, demanda à Jean Nohain de fixer ce moment par des mots. Ce qu'il fit. On alerta Mireille en pleine nuit et le lendemain, elle dictait les notes par téléphone. Les coups de fil sont parfois des coups de Maître !! La “Demoiselle” en question, nos amis la firent triompher jusqu'aux États-Unis. Là, deux mois au “Blue Angel” de New York, trois passages dans l' “Ed Sullivan Show” et des critiques plus qu'élogieuses, confirmèrent l'impact du quatuor sur les Américains.

Passant aussi aisément les frontières que la rampe, Les Garçons de la rue continuèrent longtemps leurs pérégrinations à travers le monde, partout acclamés, réclamés. Et puis, un jour, ils se trouvèrent de la revue et encore de la revue… neuf ans en tout au Moulin Rouge où ils ajoutèrent aux grains de beauté de ces dames, leur grain de folie.

Enfin sortis du Moulin (ils auraient fini par y broyer du noir), ils remontent un tour de chant et inaugurent le théâtre du “Forum des Halles” devenu depuis un temple du septième Art. Dans la foulée, pour la réouverture du Théâtre Saint-Georges, ils se rebaptisent “Les Garçons” (la rue avait entre temps perdu pas mal de sa magie), se mettent au blanc (je parle de leur tenue de scène, bien entendu…).

Après un mois de succès au “Saint-Georges”, on les retrouve à la “Nouvelle Comédie de Paris” dans un spectacle consacré à Boris Vian, une idée de Jacques Canetti. Cette évocation de l'auteur de “L'arrache-cœur” par ses textes et ses chansons, nombreux seront les théâtres et les maisons de la culture qui voudront ensuite en faire partager la ferveur à leur public. Un disque prolongera l'événement. Vous l'avez aujourd'hui entre vos mains, demain vous l'aurez, peut-être, en tête et un jour, qui sait, en double…

“Du sang, des monstres, des boîtes et puis… la vie…” D'abord, ce disque (et même si la technique d'enregistrement actuelle infirme l'expression), du sang abreuve ses sillons… Ce sang, ce sont les joyeux militaires, de vrais bouchers, qui le répandent avec délectation. Leur philosophie brille par sa logique : crève ou… crève !! Quant à la chanson qui les concerne, elle faisait partie du tour de chant de Boris Vian et du spectacle “La Bande à Bonnot”, texte d'Henri-François Rey, donné en décembre 1954 au Théâtre du Quartier Latin. A ce propos, il vaut mieux perdre son latin qu'un cadavre car on s'expose alors à de petites complications disons… mortelles… n'est-ce pas Arthur ??

Examinons maintenant le “Frankenstein” de Vian sur toutes ses coutures. Deux remarques s'imposent : la première, c'est une grosse tête, la seconde, son talent de guitariste “rock” devrait lui valoir un succès… monstre… ça va de soi. Comme il va de soi que l'on finira tous mal et dans une boîte, invention qui, d'après Boris, changea le cours de l'Humanité et qu'il faut célébrer sous toutes ses formes. Le texte de cette “Cantate des boîtes” parut dans le n° 25 des Cahiers du Collège de Pataphysique, science du particulier dont Alfred Jarry était l'inventeur et Vian un des “chercheurs” les plus imaginatifs.

Plus question de Pataphysique dans la chanson suivante : “Dans mon lit”. Là, surtout du physique et un rêve qui prend délicieusement corps. Qui dit corps dit volupté mais également corps… d'armée… ce qui nous ramène directement au sang. Danger, “Marche arrière”, la musique de Salvador fait alors bloc avec les paroles de Vian pour dénoncer l'engrenage infernal. Dans cette voie de la rébellion, “Le déserteur” s'engage encore plus, si l'on peut dire…

Et la vie dans tout ça ?? C'est “La trompette d'occasion” qui, plus que le larron, fait la joie de ceux qui la pratiquent ou l'entendent…

C'est “La valse jaune” où l'on évoque, chose plus triste mais courante, des travailleurs matinaux…

Enfin, c'est “Terre-Lune”. Lorsque Boris Vian écrit cette chanson, la lune est encore vierge… synonyme de grande évasion… d'aspiration… d'inspiration… Depuis, on y a marché dessus…

Après le cheval, l'Espace sera-t-il la plus belle conquête de l'homme ??

Qui y survivra… verra…

Jean-Claude HEMMERLIN


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